EDITORIAL 2017

L’antisémitisme n’est pas mort à Auschwitz. Il reste bien vivant en Europe. Il a muté, certes, et prend des formes nouvelles, tout cela sur fond de l’antisémitisme classique, cet ensemble de préjugés qui ont amené à la catastrophe de la Shoah. Comment en serait-il d’ailleurs autrement quand on se rappelle l’antijudaïsme de type religieux millénaire dans la Chrétienté jusqu’au Concile Vatican II, mais qui existe aussi dans l’Islam. Comment en serait-il autrement quand des idéologies haineuses ont proliféré après les Lumières et l’émancipation des Juifs en Occident ? Comment en serait-il autrement quand des ouvrages de type complotiste, de la France juive de Drumont à Mein Kampf, en passant par le Protocole des Sages de Sion, ont influencé des millions d’Européens et sont des bestsellers aujourd’hui dans nombre de pays arabo-musulmans ?

 

Il nous a semblé important d’observer et d’analyser ce qui se passe chez nous, et de réaliser la présente brochure, avec comme ambition de dénoncer des faits et des paroles que nous considérons comme de nature antisémite. Avec comme objectif principal d’éduquer, de donner des définitions et des clés pour une meilleure compréhension. Certes, le Luxembourg apparaît comme un ilot de stabilité – mais combien de temps pourra-t-il le rester quand on voit la violence avec laquelle l’antisémitisme se déchaîne dans les pays voisins ? Il ne fait pas bon se promener avec une kippa dans certains quartiers de Berlin ou dans certaines banlieues françaises. Il ne fait pas bon d’essayer d’empêcher les déversements de haine de certains propagandistes et d’être étiqueté ‘’sioniste’’.

Était-il imaginable qu’il y aurait des attentats sanglants contre des synagogues, comme celui de la rue Copernic à Paris, contre le Musée juif de Bruxelles ? Qu’on attaquerait des enfants à l’école Ozar Hatorah à Toulouse, ou les clients d’un magasin casher Porte de Vincennes à Paris ? Et la liste des exactions dans les pays voisins est longue, et malheureusement, cette liste s’allonge constamment.

 

Rien de semblable au Luxembourg en 2017, fort heureusement. On a néanmoins pu lire l’expression de stéréotypes antijuifs immuables, dans la presse et sur les réseaux sociaux.  Que penser de l’affirmation éculée de l’énorme pouvoir international des lobbys juifs – de la part d’une récidiviste, d’ailleurs. Que penser de la publication sur Facebook d’un texte datant de la fin du 19ème siècle et relatant des tentatives de domination du monde par des rabbins réunis en conclave à Marseille ? Ou de l’extrait d’un tableau du Moyen-Age détourné pour appeler «à se méfier d’eux». On a pu lire  une affirmation comme quoi «ce qui est passe en Palestine est bien pire que tout ce qui s’est jamais vu»,  postée sur Facebook sous des photos montrant un charnier de la « Shoah par balles » (l’assassinat de près de 2,5 millions de Juifs en Europe de l’Est par les armées et corps de police du Reich, dont le fameux Polizei-Bataillon 101, et les supplétifs locaux des nazis). On a pu voir une caricature antisémite, sous le voile de l’antisionisme, affichée sur le stand d’une certaine ONG au Festival des Migrations. Ces deux derniers exemples sont des exemples frappants où l’antisémitisme prend prétexte du conflit  au Proche-Orient pour s’exprimer avec violence, sans que cela n’émeuve grand monde. Même si notre échantillon n’est pas assez large pour être statistiquement significatif, force est de constater que près de la moitié des incidents relevés sont liés au conflit du Proche-Orient.

 

 

Ces incidents créent le terreau sur lequel l’antisémitisme peut prospérer, d’autant plus qu’une  bonne partie des auteurs sont des personnes très éduquées et ayant donc une certaine crédibilité.     Mais ne dites surtout pas que cela est de nature antisémite, et n’inférez pas que certaines de ces personnes seraient antisémites ! S’attaquer aux Juifs ou à leur État – d’une façon qui va bien au-delà de la critique légitime d’une politique – est une chose. L’assumer en est une autre. Bien au contraire, on s’attaquera au messager, à qui on reprochera d’utiliser des tours de passe-passe, si ce n’est d’user de la fameuse ‘Antisemitismuskeule’. Ou de provoquer lui-même l’antisémitisme et de nuire à sa cause. Pratique, cette inversion, mais tellement transparente !

 

Le travail de mémoire reste un élément important dans la lutte contre l’antisémitisme, et le Luxembourg est exemplaire dans ce domaine, même si certains dossiers sont toujours en suspens.      Et des organisations comme MemoShoah, comme les ‘Témoins de la deuxième génération’, en collaboration avec l’Éducation nationale, ainsi que les ‘nouveaux historiens’, font un travail remarquable. Remarquable, mais bien nécessaire, au vu du nombre de sites qui répandent des thèses pseudo-scientifiques et propagent des mensonges. On ne peut donc que se féliciter de la condamnation, début 2017, d’un Luxembourgeois auteur d’un ouvrage de ce type.

Un autre axe qui me paraît important pour combattre l’antisémitisme sous toutes ses formes est celui des événements culturels. Informer, éduquer, montrer la richesse du patrimoine juif et israélien, qu’il soit historique et/ou contemporain, et y donner accès à des franges variées de nos concitoyens, me semble primordial.  Il faut noter que de très nombreuses institutions culturelles luxembourgeoises ont programmé de telles activités au cours de ces dernières années. Qu’elles soient ici remerciées pour leur contribution contre l’antisémitisme.

Bien entendu, l’éducation à davantage de tolérance et le développement de l’esprit critique de nos jeunes  sont hautement désirables. Les enseignants, l’IFEN, le ZpB ont des rôles primordiaux à jouer dans la réduction des discriminations quelles qu’elles soient. Cela aidera également à combattre   l’antisémitisme, même s’il s’agit là d’un phénomène à part de par sa durée et de par ses mutations au cours des siècles.

Malgré tous les efforts méritoires, ce combat n’est pas encore gagné – peut-être ne le sera-t-il jamais. Alors, soyons créatifs et demandons-nous si, en fin de compte, ce n’est pas l’humour sous toutes ces formes, écrits, blagues, caricatures, qui permettra de changer la donne !

 

 

Notre brochure n’a pas pour ambition de présenter des solutions miracle à un phénomène qui traverse les siècles, et dont la mutation nous paraît unique. Cette spécificité différencie  l’antisémitisme  des autres discriminations, bien réelles évidemment. Nous voulons simplement informer, alimenter la discussion et éclaircir certains éléments. Avec comme objectif – ou disons plutôt l’espoir – de faire prendre conscience du phénomène et d’inciter des personnes de bonne volonté à barrer la route à l’antisémitisme.

 

Une des façons d’agir est évidemment le signalement des situations et des écrits qui interpellent.       En 2017,  les cas relevés l’ont été par une dizaine de personnes, qui n’ont donc pu détecter que la fameuse ‘pointe de l’iceberg’.  Un signalement plus large permettrait de tenir des statistiques plus précises et d’affiner notre analyse, pour développer des réponses plus appropriées, l’objectif premier étant de corriger les idées préconçues, de dénoncer l’usage de stéréotypes malveillants, de convaincre et d’éduquer. Pour les quelques cas les plus graves, il faudra bien en informer Bee Secure et les autorités. Nous comptons sur le soutien et la vigilance de nos concitoyens.

 

La montée de l’antisémitisme en Europe est réelle, et beaucoup d’institutions européennes et de gouvernements en ont pris conscience. Il suffit de lire le rapport de l’OSCE du 15 mai 2017 (http://www.osce.org/fr/odihr/357871) ou le communiqué de presse du Parlement européen du    1er juin 2017, qui ont tous deux émis des recommandations concrètes à l’intention des gouvernements, comme l’adoption de la définition de l’antisémitisme de l’IHRA, que le lecteur trouvera en page 18. De nombreux pays européens ont suivi cette dernière recommandation, notamment la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Autriche. Le Bundestag allemand a exigé la nomination d’un ‘Antisemitismusbeauftragten’ au niveau fédéral ; le Land de Rhénanie-Palatinat (Rheinland-Pfalz) l’a déjà nommé. Et il faut mentionner les activités de la DILCRAH en France.

Nous espérons donc voir ces recommandations suivies et mises en pratique au Luxembourg dans un avenir pas trop lointain !

 

Soyons clairs : l’antisémitisme n’est pas le problème des seuls Juifs – c’est un problème de société.